vendredi 17 août 2012

le récit de Fabien "le combat avec le requin bouledogue

LA BÊTE S'ACHARNE La bête s’acharne. Fabien aussi. Avec sa main gauche, il agrippe les branchies du poisson et tire violemment. Le bouledogue relâche, laisse l’os de la jambe à vif et disparaît. Fabien ignore pour combien de temps. « J’ai attrapé ma planche, dit-il. J’ai voulu remonter et là, j’ai vu qu’il me manquait ma main droite… Avec la gauche, j’ai réussi à me hisser. J’étais sur le ventre, sonné. Je me suis retourné, ma jambe droite était à moitié dévorée. C’est stupide, mais j’espérais qu’elle n’avait rien. En voyant la plaie, j’ai réalisé. » Alors, il a peur d’une seconde charge : « Je savais que je n’aurais pas la force d’assurer. » Il est à 50 mètres du bord. Autour de lui, personne. « J’ai commencé à ramer jusqu’au plateau corallien, là où il y a 50 centimètres d’eau, là où je serais à l’abri. Je restais lucide et je n’avais toujours pas mal. » Il lutte pour ne pas s’évanouir, il pense à sa famille : sa femme, Cathy, ses deux enfants, Waïné, 9 ans, et Woody, 15 ans, qu’il ne veut pas abandonner. « Je pensais que j’allais mourir et j’étais en colère contre moi. Je trouvais stupide de disparaître si jeune, bouffé par un bouledogue. » Fabien se déplace lentement, difficilement. Toujours aucune douleur. Il s’arrête et utilise sa seule main comme garrot autour de son poignet amputé. « Il fallait ralentir l’hémorragie, mais aussi avancer. Par moments, je me sentais partir. » Derrière lui, une traînée rouge. La plage se rapproche, Fabien rejoint le chenal, un courant naturel, où les mousses – des petites vagues – le poussent au bord, à côté du club nautique, sur les galets volcaniques noirs. Enfin, on l’aide. Ses plaies sont graves. Emmanuel, son beau-frère, est encore étonné de son courage. « Je lui ai fait un garrot au-dessus du coude avec les lacets de mes baskets de course », raconte-t-il. Un « leash » (le cordon qui relie le surfeur à sa planche) ­garrotte sa jambe. Des dizaines de curieux se sont rassemblés autour de lui et l’encouragent à tenir bon. Des petites filles, effrayées, pleurent. « J’étais conscient. Je voyais l’agitation, j’entendais les commentaires. Je pensais déjà aux prothèses. Et surtout je voulais parler à ma femme », se souvient-il. Cathy est avec sa mère, sa sœur et sa fille à quelques kilomètres, sur les hauteurs de Saint-Leu. Au téléphone, il lui dit d’abord qu’il est allé au bout de sa passion et qu’il est désolé de leur faire subir cet accident. « C’était un message d’adieu », recon­naît-il aujourd’hui. Et c’est seulement à ce moment qu’il ne peut ­retenir ses larmes. Car Fabien a cru qu’il allait mourir. Mais il s’est réveillé au centre hospitalier de Saint-Pierre, après son opération le soir même, hors de danger.

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